La Cour administrative d'appel de Lyon a rendu un arrêt le 25 octobre 2018 (CAA Lyon, 6e chambre, 25 octobre 2018, n° 16LY01977) qui permet de mieux cerner la limite supérieure du critère de la probabilité qui ouvre droit à l'indemnisation par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) au titre de la solidarité nationale.
Cette indemnisation pour l'accident médical non-fautif découle des dispositions du II de l'article L1142-1 du code de la santé publique :
« Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret... »
Dans le cadre de l'application de ce texte, la condition d'anormalité des préjudices était problématique en raison de la difficulté, par nature subjective, de distinger entre les préjudices normaux et anormaux.
Pour réduire cette difficulté, les deux ordres de juridictions ont élaboré une jurisprudence permettant une approche plus concrète.
En effet, dans un arrêt rendu le 12 décembre 2014, publié au Recueil Lebon, le Conseil d'Etat a décidé (CE, 5e/4e SSR, 12 déc. 2014, n° 355052) :
« Considérant que la condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours
être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus
graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence
de traitement ; que, lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves
que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne
peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la
survenance du dommage présentait une probabilité faible. »
Dans des termes identiques, la Cour de cassation a suivi cette approche par un arrêt rendu le 15 juin 2016 (Civ. 1e, 15 juin 2016, n° 15-16824).
Selon cette jurisprudence, pour apprécier la condition d'anormalité du préjudice, il convient de rechercher si les conséquences de l'acte médical étaient notablement plus graves que celles de l'évolution naturelle de la pathologie de la victime. A défaut, il faut déterminer si la survenance du dommage présentait une probabilité faible.
Encore faut-il citer la jurisprudence importante du Conseil d'Etat sur la méthode d'appréciation de la probabilité. Dans un arrêt du 15 octobre 2018 mentionné dans les tables du recueil Lebon, la Haute juridiction administrative énonce dans un chapeau que la probabilité analysée est spécifiquement celle d'un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès (CE, 5e/6e CR, 15 oct. 2018, n° 409585).
Donc, en cas d'absence de conséquences notablement plus graves, le juge doit évaluer la probabilité du risque pour dire si celle-ci est faible.
Naturellement, l'avocat qui défend la victime d'un accident médical non-fautif aimerait connaître la limite supérieure de cette probabilité faible. Est-elle de 0,5%, 1%, 2% voire plus ?
L'arrêt rapporté de la Cour administrative d'appel de Lyon permet d'y répondre de manière plus précise au moins devant l'ordre administratif.
Avant cet arrêt, la jurisprudence administrative avait décidé que la probabilité de 3,5% (effets secondaires suite à la prise d'un traitement pour la maladie de Parkinson) n'était pas faible (CAA Lyon, 6e chambre, 16 novembre 2017, n° 15LY03733). De même elle a décidé que la probabilité de 3% (accident vasculaire cérébral chez un patient en fibrillation auriculaire non anti-coagulé) n'était pas faible (CAA Nantes, 3e chambre, 9 juin 2017, n° 14NT01651). Elle a aussi décidé que la probabilité de 2% (accident vasculalaire cérébrale lors d'une circulation extracorporelle) n'était pas faible mais cette décision est d'interprétation plus difficile car rendue dans le cadre de l'appel contre une ordonnance de référé allouant une provision pour une obligation non sérieusement contestable (CAA Bordeaux, 25 octobre 2018, n° 15BX03104). En revanche, elle considère que la probabilité de 0,8% (atteinte du plexus brachial lors de la pose d'une prothèse totale de l'épaule) remplit la condition d'une probabilité faible (CAA Lyon, 6e chambre, 5 novembre 2015, n° 14LY01478).
Dans l'arrêt rapporté de la Cour administrative d'appel de Lyon la victime est restée atteinte d'une algodystrophie dans les suites opératoires d'une arthrose fémoro-tibiale interne avec lésion méniscale interne. Le juge administratif a décidé que la probabilité de 1,7% était une probabilité faible ouvrant droit à l'indemnisation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale.
Vu ce chiffre de 1,7%, on est tenté de déduire qu'une probabilité inférieure à 2% serait la limite supérieure de la probabilité faible.
Cependant, après la première publication de ce billet, un arrêt du Conseil d'Etat rendu le 4 février 2019 (mentionné dans les tables du recueil Lebon) a décidé qu'un risque de 3% constitue toujours une probabilité faible permettant une indemnisation au titre de la solidarité nationale par l'ONIAM.